Les croisades tardives :
confrontations interconfessionnelles aux XIVe-XVe siècles
Propositions pour un projet de recherche
Centre d’études médiévales et Faculté des Lettres de l’Université Charles à Prague
Université de Toulouse II-Le Mirail et laboratoire Framespa UMR 5136 (Toulouse)
Aux XIVe et XVe siècles, la Chrétienté est en état de guerre permanent contre les puissances musulmanes qui bordent ses frontières à l’Est et au Sud. La force est aussi utilisée pour éradiquer des mouvements jugés hérétiques dont le principal, le hussitisme, a son foyer en Bohême. Certes, les différents conflits affichent chacun des caractéristiques particulières. Les dangers musulmans et hérétiques ne peuvent être exactement confondus et si la Chrétienté triomphe sur le front méridional, achevant avec succès la conquête de la péninsule Ibérique, les résultats qu’elle obtient sur ses marges orientales sont beaucoup moins probants : la menace turque persiste jusqu’au XVIIe siècle. Néanmoins, au-delà de ces disparités, les historiens perçoivent des enjeux communs. Contre les hérétiques et contre les infidèles, l’Occident fait l’expérience d’une altérité qui participe à forger sa propre identité. A la fin du Moyen Age, le processus acquiert une importance particulière car l’unité de l’Europe, confondue jusqu’alors avec la Chrétienté latine, est menacée par la première émergence des sentiments nationaux et des Etats, au sens moderne du terme.
Comment la confrontation avec l’Islam et avec l’hérésie, mais aussi la diplomatie et la nécessité de concevoir les moyens d’une coexistence pérenne ont-elles cristallisé à la fin du Moyen Age la conscience que l’Europe avait d’elle-même? Comment, dans le cadre de ce processus, la conscience d’appartenir à une entité supranationale s’est-elle articulée avec la consolidation des particularismes nationaux? Ces questions, dont la résonance dans nos sociétés contemporaines est évidente, sont au coeur de notre projet.
Au-delà de sa fonction proprement scientifique, sur un sujet relativement peu étudié et qui n’a jamais donné lieu à un programme de l’ampleur de celui que nous proposons, ce projet comportera un volet de formation à la recherche destiné aux doctorants qui y seront associés. Il aura également une fonction d’enseignement à l’intention des étudiants invités à assister aux différentes rencontres. A terme, il serait souhaitable de parvenir à la conclusion d’accords de co-tutelle entre la République tchèque et la France pour la direction de thèses sur des sujets dont l’intérêt aura été mis en évidence dans le cadre de ce programme.
La conception et la réalisation de notre projet repose sur une collaboration bilatérale entre des institutions tchèques et françaises. Dans ce cadre, nous envisageons naturellement de faire appel aux compétences de chercheurs et de spécialistes issus des autres pays européens, en particulier d’Europe centrale et d’Europe méridionale. Il s’agit donc, à la fois, de renforcer l’axe de collaboration tchéco-français et de participer à la création d’un nouveau réseau européen de recherche. Les deux parties à l’initiative de ce programme se sont mises d’accord pour choisir le français comme langue principale et prioritaire de leurs travaux.
● La durée du projet :
2005-2009 (5 ans)
● Support institutionel :
Les initiateurs du projet seront, pour la partie tchèque, le Centre d’études médiévales (CMS) - Centre de recherche Le christianisme et la société tchèque au Moyen Âge (projet du Ministère de l’Éducation tchèque) et l’Institut d’histoire tchèque de la Faculté des Lettres de l’Université Charles de Prague dans le cadre du projet de recherches „Les pays tchèques au centre de l’Europe hier et aujourd’hui“ (projet du Ministère de l’Éducation tchèque) et, pour la partie française, l’Université Toulouse II – Le Mirail et le laboratoire Framespa UMR 5136 (Toulouse).
● Les participants (première liste) :
Pour la France : M. Daniel Baloup (MCF, Université de Toulouse-Le Mirail), M. Bernard Doumerc (PR, UTM), M. Benoît Joudiou (MCF, UTM), M. Olivier Marin (MCF, Université Paris-Nord), M. Benjamin Weber (Doct., UTM).
Pour la République tchèque : M. Martin Nejedlý (MCF, Université Charles), M. Pavel Soukup (MCF, CMS), M. Jaroslav Svátek (Doct., Université Charles).
● Délimitation thématique :
Le projet traitera des confrontations interconfessionnelles dans l’ensemble de la Chrétienté (latine et grecque) pour les XIVe et XVe siècles. Dans ce cadre, il nous paraît important de ne pas limiter notre réflexion aux expéditions approuvées par la papauté et dotées de privilèges pontificaux. L’attention devrait également porter sur toutes les autres formes de guerre sainte, c’est-à-dire sur toutes les entreprises militaires présentées et vécues comme conformes à la volonté de Dieu, destinées à défendre la vraie foi et, éventuellement, investies d’une dimension pénitentielle. Nous souhaitons inclure la « guerre sainte » que les Hussites mènent contre les croisés de Sigismond, ainsi que les expéditions conduites en péninsule Ibérique contre les musulmans, dont beaucoup n’ont pas donné lieu à la promulgation d’une bulle de croisade. Notre intention serait d’envisager le phénomène dans toutes ses nuances sans demeurer prisonniers d’une définition trop strictement juridique.
Le domaine de recherche de l’Université de Toulouse concerne l’affrontement entre chrétienté et Islam en péninsule Ibérique et au Maghreb et les conséquences des croisades tardives sur les relations entre les royaumes catholiques et ceux qui appartiennent au domaine orthodoxe. L’équipe tchèque se concentrera sur la problématique de la réaction aux dangers hussite et turc dans l’Europe chrétienne. La préparation diplomatique des croisades dans l’espace de l’Europe occidentale et centrale, les formes tardives des institutions de croisade (sermons, indulgences, voeux) et la réflexion sur l’hétérodoxie comme sur le conflit militaire dans les sources de l’époque (chroniques, littérature polémique, propagande) en seront les points de mire.
La problématique pourrait être centrée sur la place de ces confrontations interconfessionnelles dans les idéologies du pouvoir, ainsi que dans le processus d’affirmation des identités nationales. Cette réflexion peut être conduite à l’échelle des différentes Couronnes (Bohême, Espagne) mais elle se justifie aussi à l’échelle de la Chrétienté toute entière (face à l’Islam) et, au sein de la Chrétienté, en distinguant les pays de tradition catholique et ceux qui appartiennent à la sphère orthodoxe (les croisades et le prosélytisme catholique ayant entraîné une réaction orthodoxe). Les croisades seraient alors mises en relations avec d’autres formes de confrontation interconfessionnelles : les missions catholiques en terres d’orthodoxie mais aussi les politiques destinées à éradiquer les communautés juives, par la conversion ou par l’expulsion (la péninsule Ibérique offre un bon exemple des liens qui existent entre croisade et anti-judaïsme, encore à la fin du Moyen Âge : l’expulsion des juifs se produit quelques semaines après la conquête de Grenade, en 1492). Au fond, il s’agirait de renouveler, au travers de l’étude des croisades tardives, la question des tensions qui se créent entre l’affirmation des identités nationales et la persistance de l’idéal de Respublica Christianorum.
● L’objectif du projet :
Aider à la connaissance des mécanismes qui permettaient à la société de la fin du Moyen Âge de créer et de maintenir son identité collective sera l’objectif du projet. Nous proposons de développer cette problématique autour de quatre axes de recherche. Il est évident que la définition des axes, destinée à garantir la cohérence du projet, n’exclut pas les contributions sur d’autres aspects ou d’autres approches du sujet.
Axe 1. La prédication (et sa réception), l’organisation et le déroulement des croisades tardives et le prosélytisme catholique. L’utilisation et l’adaptation des moyens traditionnels de la croisade aux XIVe et XVe siècles : la tradition et l’innovation.
Axe 2. « Guerre juste » et « guerre sainte » : l’utilisation de ces notions dans les idéologies de la guerre, du pouvoir et de la nation à la fin du Moyen Âge
Axe 3. Les noblesses occidentales entre service du prince, modèle chevaleresque et idéal chrétien.
Axe 4. Au-delà des croisades – la Respublica Christianorum : la définition de l’Europe chrétienne contre l’étranger, les réactions face à l’islam et à l’hérésie. Son articulation avec les identités nationales en cours de formation.
● La réalisation et les résultats :
entre 2006 et 2008 : une série de conférences à Prague portant sur les croisades tardives. La partie tchèque compte inviter six historiens français et deux d’autres historiens européens
2009 : La traduction en tchèque et l’étude du récit de voyages de Guillebert de Lannoy (avec la participation du bohémiste Olivier Marin). Le Centre d’études médiévales à Prague est disposé à apporter un financement pour la publication de ce livre.
colloques :
le 22 et 23 mars 2007, Toulouse : « Les croisades tardives et la confrontation interconfessionnelle à la fin du Moyen Âge. État de la question et perspectives »
le 26 et 27 octobre 2007, Prague : « La noblesse et la croisade à la fin du Moyen Âge : piété, diplomatie, aventure »
le 3 et 4 avril 2008, Toulouse : « Croisade et discours de guerre sainte à la fin du Moyen Âge. Légitimation, propagande et prosélytisme »
le 20 et 21 novembre 2008, Prague : « Mémoires, images et fictions de la croisade aux derniers siècles du Moyen Âge »
printemps 2009, Budapest : « Entre conflit et coexistence : les frontières interconfessionnelles à la fin du Moyen Âge »
automne 2009, Paris XII : « Les projets de croisade et leurs objectifs à la fin du Moyen Âge »
2010, Toulouse : « Partir en croisade à la fin du Moyen Âge. Organisation et logistique »
2010, Madrid, Casa de Velázquez : « L’idée de croisade et la défense de la foi dans les idéologies du pouvoir à la fin du Moyen Âge » (colloque conclusif)
Les actes des différentes rencontres seront systématiquement édités à Toulouse dans un délai de seize mois après chaque manifestation.
(actualisation : janvier 2008)